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Carnet de voyage : retour d'Ethiopie

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Voyage en Ethiopie : à la rencontre des poivres

 2023

C’est le cœur remplit de joie et d’espoir que nous entamons ce voyage. Il y a quelques jours, des accords de paix ont finalement été signés dans la province du Tigré (au nord du pays).

Le peuple éthiopien peut entrevoir un apaisement des tensions ethniques qui durent depuis des années maintenant et qui a plongé le pays dans la guerre civile. L’objectif de ce voyage est de parcourir les hauts plateaux du sud de l’Éthiopie afin de nouer des partenariats avec de nouveaux producteurs d’épices.

 

De Addis-Abeda à Kaffa

Nous quittons les tumultes de la capitale Addis-Abeba, perchée à près de 2500 m d’altitude, pour emprunter les pistes de terre rouge nous guidant vers les forêts denses du sud-ouest du pays. Destination : la ville de Kaffa. Les routes que nous empruntons sont impraticables sans une voiture suffisamment robuste et une conduite avertie. Les routes sont rocailleuses et sinueuses hors des grands axes principaux. C’est pourquoi nous décidons de faire appel à notre ami Challa qui sera notre guide et compagnon de route pour la suite des aventures.

Nous sommes frappés par les campagnes qui sont extrêmement peuplées ! Partout où l’on emprunte une route, il y a des marcheurs – de tout âge – malgré le soleil brulant.

Il est ainsi commun de croiser des centaines d’écoliers un livre sous le bras, un jerricane sous l’autre, marchant les uns derrière les autres pour rejoindre l’école la plus proche ; des femmes portant des choux, des fagots de bois et parfois même des troncs d’arbres à plusieurs ; des bergers promenant leurs troupeaux ; des hommes guidant des ânes chargés de bois et d’objets de toute sorte afin de transporter le nécessaire d’un lieu de vie à un autre... Ce défilé incessant se fait sous l’œil des babouins qui se prélassent au bord des routes.

Au fur et à mesure de la route et des rencontres, nous remarquons la beauté avec laquelle les femmes et les hommes s’expriment par leur sourire mais surtout par leur regard, qui s’arrondie et brille à de maintes reprises. Soudain les mots que nous ne pouvons comprendre en amharique se narrent par les yeux. Après plusieurs heures de route, nous voilà à Kaffa. Berceau originel du café arabica, les caféiers poussent ici de manière spontanée. Les paysages sont montagneux et verdoyants ; la biodiversité y est remarquable. Dès notre arrivée, nous faisons la connaissance de Mesfin – un homme à la sagesse infinie et aux connaissances botaniques précieuses. En Éthiopie, les salutations se font par une poignée de main suivie d’une accolade épaule contre épaule qui peut être répétée à plusieurs reprises suivant les régions et le degré de proximité… de la même manière que notre bise nationale ! Nous faisons connaissance autour d’un café. Nous sommes intrigués par des feuilles qui viennent accompagner celui-ci. C’est du tena adam.

Tena Adam

Les feuilles sont consommées dans les tasses de café pour ses vertus médicinales et la saveur unique qu’elle prodigue. Les baies sont quant à elles utilisées pour la préparation du fameux berbere. Mesfin nous parle d’un groupe de 60 femmes qui se sont unies pour cultiver des herbes aromatiques locales, du besobela, du koseret, des plants de tena adam (baie de la passion) ainsi que des plants de kororima (une variété de cardamome locale aux saveurs mentholées). Cette initiative présente un grand intérêt en termes d’agriculture et est d’autant plus remarquable que ces femmes ont courageusement dû convaincre leur époux de l’intérêt d’un tel projet. Dans la région de Kaffa, comme généralement dans le reste de l’Éthiopie, les populations adoptent un système patriarcal ; la femme se retrouvant donc souvent au second plan.

Nous voilà convaincus de travailler avec cette coopérative féminine, créée quelques mois auparavant, afin de les accompagner dans ce merveilleux projet et de leur offrir notre soutien en leur ouvrant l’accès au marché international.

Les forêts de la région de Kaffa sont riches de nombreuses plantes sauvages dont le fameux poivre timiz. La plante du timiz (piper capense) est un poivre long sauvage qui pousse de manière endémique sur les hauts plateaux du sud-ouest. Contrairement à son cousin le piper nigrum, il n’est pas une liane mais un arbuste d’environ 1m50 d’envergure.

Le timiz ne dépend donc pas d’un autre arbre tuteur pour sa croissance. Le pic de la récolte se situe après la saison des pluies, généralement au mois d’octobre. Ses arômes balsamique et fumé en font un poivre unique en son genre apprécié des communautés locales et des cuisiniers avisés du monde entier !

Le saviez-vous ?

Il faut 10 kg de poivre timiz frais pour obtenir 1 kg de poivre timiz sec. Il faut 3 kg de kororima fraiche pour 1 kg séchée. Le temps de séchage pour ces 2 épices est d’environ 10 jours. A mesure que je m’enfonce dans la forêt, je remarque au-dessus de ma tête une dizaine de singes « Colobus guereza » au pelage noir et blanc d’une élégance rare. Ils bondissent d’arbre en arbre, avec une aisance déconcertante, empruntant tous la même direction tel un cortège impérial orchestré par la nature.

 

Pour atteindre un tel objectif, chaque détail compte :

- Le poivre est séché au soleil et non au feu de bois, afin d’éviter de retrouver des particules d’hydrocarbures ;

- des lits de séchages surélevés ont été fabriqués afin de protéger le poivre des potentielles contaminations ;

- des lieux de stockage séparés des habitations ont également été conçus.

 
Cet effort de rigueur au service de la qualité est récompensé par une meilleure valorisation de la récolte (plus haute que le marché local), permettant à la communauté de financer de multiples projets bénéficiant à tous.
 
Au cours de notre séjour dans la région, nous allons à la rencontre des différents producteurs et prenons le temps de les sensibiliser sur les bonnes pratiques agriculturales. Nous portons une attention particulière à leur présenter les risques de contaminations croisées que comportent les étapes qui suivent la récolte (séchage, tri, stockage). Nous décidons de s’appuyer sur l’expertise de différents partenaires locaux, dont Mesfin, pour accompagner les producteurs au quotidien et leur fournir les équipements nécessaires aux étapes post-production afin de maintenir une qualité constante à chaque récolte.
 
 
 
Jaune neige

Mesfin nous fait remarquer cette petite fleur jaune « meskel ». « Chez vous, durant l’hiver, vous devez certainement avoir les sols couverts par une couche de neige blanche, eh bien, ici ce sont ces fleurs au jaune éclatant qui recouvrent nos vallées de septembre à décembre. » me dit-il. La fleur meskel est synonyme de joie et de renouveau pour les éthiopiens qui en ont fait le symbole de chaque nouvelle année qui débute.

De Kaffa à Mizan Teferi

Nous reprenons la route vers l’extrême ouest du pays et avale des kilomètres de routes accidentées avec, pour bande son, le chant des oiseaux et quelques disques d’ethio-jazz de mon ami Challa. La route est longue. Nous faisons quelques arrêts pour croquer dans des cannes à sucre dont le jus constituera notre unique repas pour le reste de la journée. Soudain, nous perdons le contrôle du véhicule et nous découvrons que la roue arrière droite n’est plus en état pour tenir le rythme imposé par la route accidentée… Comme par magie, surgissant de nulle part, des dizaines d’habitants apparaissent pour nous porter secours ! Quelques heures plus tard, nous revoilà prêts à reprendre la route en direction du Bench Sheko, région non loin du Soudan du sud. Nous arrivons enfin à Mizan Teferi. La ville sera notre point de base pour les prochains jours d’expéditions dans la région.

Rencontre avec le peuple Bench
La région est riche d’une grande diversité ethnique. Nous nous rapprochons du peuple bench qui ne compte que quelques 200 000 locuteurs seulement. Au cœur des vallées verdoyantes se nichent leurs maisons en terre sur les façades desquelles s’entrelacent les passiflores aux couleurs étincelantes. Ici, les paysans s’épaulent et se retrouvent dans la bonne humeur malgré les difficultés. Nous faisons la connaissance de Tsegye qui nous invite chez lui et nous présente le reste de sa famille. Tsegye est cueilleur de poivre timiz et producteur du kororima depuis 15 ans. Il déplore la déforestation récente engendrant une perte de biodiversité et m’explique vouloir agir sur le plan local pour préserver la forêt en sensibilisant sa communauté.
« Par le passé, la forêt s’étendait sur un territoire bien plus large. Nos ancêtres ont pu survivre grâce à un usage raisonné de ses multiples ressources : différents types de miels, des plantes aux usages médicinales, de la nourriture pour les hommes et pour les animaux en abondance… On y observait plusieurs espèces de serpents et de singes, illustration d’une formidable biodiversité ! »
Son village, tout comme ceux alentours, dépend essentiellement des ressources de la forêt : le bois, le café, le miel, le poivre timiz et la kororima entre autres, sont autant de sources de revenus pour leurs habitants. Préserver la biodiversité de la forêt environnante et retrouver un équilibre harmonieux est donc un enjeu vital pour ses habitants. Ici, les familles se sont organisées de manière collective pour récolter la kororima (aframomum corrorima) ensemble. Elles ont construit un lieu de séchage et de tri qu’elles partagent afin de mutualiser le fruit de leurs efforts.
 
Les graines de kororima sont enfermées dans une gousse poussant à même le sol. Une fois séparées de leur écrin de couleur rouge vermeil, les graines libèrent des arômes camphrés. La kororima est un véritable bonbon mentholé et un ingrédient essentiel à de nombreux plats du quotidien. Le jour de notre visite est un mercredi. On m’informe que, tout comme le vendredi, les communautés orthodoxes du village observent un jeûne de tous produits d'origine animale. On nous invite alors à partager un repas végétarien. Le plat traditionnel servit est le shiro wot accompagné de la fameuse galette de teff injera. Dans la préparation, on y retrouve les graines de kororima préalablement broyées. Avant de m'en aller, Tsegye tient à nous montrer la lance et le bouclier traditionnels, héritage culturel du peuple bench. Il se mue alors en véritable gardien de la forêt pour les générations futures !
 
Retour à Addis-Abeba
Nous reprenons la route vers Addis-Abeba et nous terminons mon voyage par une visite des producteurs de baie de la passion, sur le flan du volcan endormi Zuqualla. Il faut une demi-journée de marche pour atteindre le sommet du volcan, lequel a été édifié un monastère orthodoxe. C’est un lieu de pèlerinage sacré pour les multiples fidèles qui prennent les chemins sinueux du volcan. Seuls quelques paysans vivent en compagnie des moines du monastère. Nous rencontrons notre producteur de baie de la passion (ruta chalpensis), Tesfaye, qui nous invite à parcourir sa plantation qu’il a enrichit de plusieurs autres herbes aromatiques tels que le thym et le basilic sacré. Dans quelques jours, les baies au parfum envoutant seront récoltées puis triées minutieusement afin de préserver tous leurs arômes indique-t-il. Les feuilles sont principalement utilisées pour aromatiser les cafés. Les baies sont broyées puis utilisées traditionnellement dans le mélange d'épices berberé. Il règne ici une atmosphère paisible et nous lisons dans le regard de Tesfaye la satisfaction d’observer le balai des abeilles se délecter des fleurs de tena adam. C’est au sommet de ce volcan avec une vue imprenable que mon périple se termine enfin. Nous repartons après une longue accolade avec Tesfaye et, suite à sa demande, lui promettons de lui envoyer la gazette « Retour d’Éthiopie » avec sa photo à l’intérieur.

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